« PRODUIRE DU LAIT EN MONTAGNE, NOUS CROYONS À CE PARI »
ANNIE ET PIERRE-MARIE MÉGEMONT ONT TROUVÉ L'EFFICACITÉ ÉCONOMIQUE AVEC UNE PRODUCTION DE LAIT DE MONTAGNE, MAIS ILS GARDENT L'ESPOIR D'UNE MEILLEURE VALORISATION.
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ANNIE MÉGEMONT A REJOINT, EN 1996, SON ÉPOUX PIERRE-MARIE, sur l'exploitation où il s'était lui-même installé avec son père dix ans plus tôt. Les éleveurs ont alors formé un Gaec à trois, avec la mère de Pierre-Marie. Au départ à la retraite de cette dernière, Annie a exploité en son nom propre et Pierre-Marie en tant que conjoint-collaborateur. Depuis février 2010, ils se sont associés en créant l'EARL des Prairies. À la création du Gaec père-fils en 1986, l'exploitation située à Taravant comptait 40 vaches laitières et 240 000 l de quotas. Les éleveurs ont alors acquis une montagne d'estive au lac du Guéry.
« L'OBJECTIF DE 400 000 L EST ATTEINT »
Le troisième site de l'exploitation, situé à Laqueuille, a été apporté par Annie puisqu'il s'agissait des 12 ha de sa propre petite exploitation familiale, abritant des vaches laitières et des allaitantes. Une conversion des PMTVA en lait permet alors de récupérer 36 000 l de quota, auxquels s'ajoutent les 21 000 l initiaux. « Je ne me vois pas dans une autre production, je suis faite pour produire du lait ! », sourit Pierre-Marie. Les éleveurs ont acheté 30 000 l de quota en 2006, puis 33 000 l en 2009. 40 000 l se sont rajoutés à la dernière campagne. « Nous nous étions fixé l'objectif de 400 000 l à l'horizon 2015. Nous l'avons déjà atteint. Maintenant, il s'agit de le produire et de dégager un revenu correct pour la famille », explique Pierre-Marie. « Nous privilégions les investissements pour le confort de nos animaux à l'achat de matériel !, précise Annie. Ce sont les vaches qui nous nourrissent, pas les tracteurs ! » Une stabulation avec une aire paillée de 40 places avait été construite en 1990, en même temps qu'une salle de traite en 2 x 4 postes. En 2002, les éleveurs l'ont réaménagée en logettes sur caillebotis. « Nous ne produisons pas de céréales. À raison de 80 t de paille nécessaires par an, l'addition était lourde ! De plus, nous avons gagné en place et en confort », souligne Pierre-Marie. La stabulation est de 54 places. Les logettes sont équipées de tapis, qui ont été à nouveau changés cette année. « Nos vaches sont propres », apprécient les éleveurs, qui utilisent des copeaux de bois en litière. Un matériau qu'ils trouvent plus séchant et plus facile à stocker que la sciure. Les vaches souffrent très rarement de mammites. La salle de traite a été réaménagée en 2 x 5 postes, au regard de l'augmentation progressive de la production. L'ancienne étable entravée a été, quant à elle, aménagée en aire paillée pour les taries et les génisses d'élevage. Elle abrite aussi les parcs à vêlage. La production de lait est étalée sur l'année mais l'objectif est de produire davantage de lait d'été, mieux valorisé, moins cher à produire et moins exigeant en travail dans une zone où l'herbe est en principe abondante l'été.
« Depuis deux ans, nous subissons des invasions de rats taupiers et la sécheresse 2011 ne nous a pas épargnés, souligne Pierre-Marie. Sur le site de Laqueuille, les rats taupiers nous ont fait perdre près d'un tiers de foin. L'an passé, nous avons dû en acheter à cause des pertes sur les fourrages. Quand nous voyons les vaches relever la tête du pâturage avec le nez noir de terre, nous sommes très inquiets pour leur santé. Ces rats taupiers sont une calamité. »
Quant aux effets de la sécheresse, ils se soldent par une « grosse peur jusqu'à fin mai » et la perte de 30 % de la première coupe de foin.
Pour compenser ce déficit, les éleveurs ont dû acheter pour plus de 15 000 € du foin, 25 t de fétuque d'Espagne négociée à 194 €/t et 90 t d'ensilage de maïs. « Le prix de la paille a flambé. Nous en achetons désormais chaque année 20 t. Elle nous a coûté 125 €/t cette année contre 80 €/t en 2010 ! », commente Annie. Lors d'une année normale, l'EARL des Prairies est autosuffisante en fourrages. Les récoltes s'échelonnent au fil de la saison, en montant progressivement sur les parcelles les plus hautes en altitude.
« NOUS SUIVONS LA POUSSE DE L'HERBE »
Les trois sites s'échelonnent de 850 m pour Taravant à 1 300 m pour le lac du Guéry, avec un intermédiaire à 1 100 m pour Laqueuille. Ainsi, 24 ha d'herbe sont-ils ensilés en Cuma à Taravant aux alentours du 20 mai. Puis, 18 ha sont fanés le 15 juin à Laqueuille. Le 1er juillet, une seconde coupe est réalisée sur les 24 ha d'ensilage suivie, vers le 20 juillet, d'une coupe de 6 ha de foin au Guéry. Une seconde coupe est toujours réalisée sur les 18 ha de Laqueuille. Enfin, il est fréquent, si la pluviométrie de l'été est normale, qu'une troisième coupe de regain soit effectuée sur 15 ha à Taravant. Le stock ainsi constitué satisfait aisément les besoins hivernaux des 106 UGB de l'exploitation. Pour optimiser les rendements et la qualité des fourrages, les éleveurs utilisent la méthode des sommes de températures comptabilisées à partir du 1er février pour décider des dates de récolte au meilleur stade végétatif de l'herbe. Ces données leur sont transmises par le journal agricole départemental. Pour l'ensilage, le stade épi 10 cm estimés atteint, avec un cumul de températures de 700°C, a permis durant trois années consécutives de récolter un ensilage affichant 0,95 UFL, soit une valeur supérieure de plus d'un tiers de la valeur moyenne de l'ensilage d'herbe du Puy-de- Dôme. Quand le foin est récolté mi-juin à 1 000 m, le cumul de températures avoisine les 920°C pour correspondre au début épiaison. Quant aux récoltes réalisées à 1 300 m d'altitude, le cumul atteint alors près de 1 200°C pour que la plante se situe entre l'épiaison et la floraison. La richesse floristique des prairies et leur diversité en fonction de l'altitude sont un atout que les Mégemont exploitent en distribuant leurs foins en fonction de leur qualité. Les génisses reçoivent de préférence les foins plus tardifs, tandis que les premières coupes précoces, le regain et l'ensilage sont réservés aux vaches en lactation. Si l'ensilage est excédentaire, les vaches taries et les génisses prêtes à saillir en reçoivent également. Dès le printemps, la mise à l'herbe est également gérée au regard des sommes de températures. Selon les années, le moment opportun qui se situe entre 250 et 300°C minimum, diffère de plusieurs jours. Les vaches sont sorties le 9 avril en 2010, mais le 30 mars en 2011.
« VALORISER NOS SPÉCIFICITÉS POUR VIVRE DE NOTRE MÉTIER »
« En production laitière, le poste de l'alimentation conditionne en grande partie le revenu. Mon père disait que “nourrir ses vaches, c'est nourrir son portefeuille.” » Le poste de l'alimentation est ainsi dûment raisonné à l'EARL des Prairies. La quantité de concentré distribuée ne dépasse pas 270 g/l de lait. La politique d'achat de ce concentré est spécifique à l'EARL, qui n'achète que des matières premières dont elle fait elle-même son mélange. « Les formulations des concentrés VL sont trop compliquées pour nous, » plaisante Annie. Les éleveurs achètent de l'orge qu'ils broient eux-mêmes, du tourteau de soja et de colza, de la pulpe de betteraves et de la luzerne déshydratée. « C'est un peu plus lourd en travail au niveau de la distribution, mais le temps passé près de nos vaches n'est pas du temps perdu. Nous allons les voir plusieurs fois par jour. Elles sont très dociles, nous n'avons pas besoin de chien pour les déplacer ! », commente Pierre-Marie. En améliorant leur productivité fourragère et en maintenant constante à 270 g/l la consommation de concentrés, les éleveurs ont gagné plus de 800 l de production par vache, sans augmenter leur coût de production au litre de lait : 7 241 l par vache laitière en 2010 contre 6 514 l en 2009, avec une production autonome respective de 5 237 kg en 2009 et 5 727 kg en 2010.
Avec un lait payé 335 €/1 000 l en 2010, l'EARL se situe au-dessus du groupe de références. Atteindre toujours une qualité maximale du lait est l'un des leitmotivs de ce couple d'éleveurs. « Mais cette volonté ne suffit pas, et nous restons tributaires des aléas d'un marché de masse et du bon vouloir de nos laiteries », explique Pierre-Marie. Un conflit oppose aujourd'hui tous les éleveurs de la région livrant à la Société laitière des Monts d'Auvergne (Glac-Dischamps), car les paies de lait ont été amputées depuis l'été dernier d'une « taxe conjoncturelle » de 6 €/1 000 l en juillet, 7 € en août, 21 € en septembre et 15,10 € en octobre. « Nous avons ainsi perdu 700 € en septembre ! En travaillant ensemble sur la même exploitation en monoproduction laitière, et même avec un quota de 425 000 l, c'est inadmissible, précisent les éleveurs. Nous avons intérêt à trouver des pistes de valorisation du lait à exploiter pour espérer, à long terme, vivre décemment de notre métier. »
Les éleveurs ont signé fin novembre leur engagement dans la Charte des producteurs de lait de montagne. Cette association de producteurs, officiellement lancée en octobre dernier au Sommet de l'élevage, a pour objectif de promouvoir les valeurs et les pratiques des produits et des territoires de montagne. Sachant qu'aujourd'hui, un litre de lait portant la mention « Montagne » se vend, en moyenne, vingt centimes plus cher qu'un lait standard sans qu'un seul centime ne tombe dans la poche du producteur. « L'association doit être détentrice de l'appellation montagne et intervenir dans sa promotion. Nous espérons faire de cette adhésion, qui s'élève à 150 € pour 100 000 l, un investissement rentable aussi bien à court terme qu'à long terme. Il est temps que nous intervenions dans le devenir de notre matière première », insistent les éleveurs. « Nous avons cotisé cette année pour la moitié de notre quota ce qui a représenté une cotisation de 300 €. Nous sommes bien conscients de réaliser un pari sur l'avenir. Nous sentons qu'il faut faire quelque chose pour sauver, à terme, les exploitations de montagne, mais nous ne savons pas vraiment de quels moyens, nous producteurs, nous allons vraiment disposer pour nous positionner sur ce marché du lait. Nos laiteries ne nous font pas de cadeaux ! », précise Annie.
« NOUS DEVONS EXPLOITER TOUTES LES POSSIBILITÉS »
Avec un potentiel de 300 à 400 Ml de lait impliquant près de 4 000 éleveurs dans le Massif central, l'association s'est aussi donnée pour but de tripler cette production « Montagne » très prisée des consommateurs. Un tel marché représenterait une réelle occasion de fixer le lait sur un territoire défavorisé en termes de quotas moyens par exploitation et de coûts de production plus élevés qu'en zone de plaine. Mais le chantier est d'envergure et il ne fait que débuter « Nous devons exploiter toutes les possibilités pour éviter le risque fort probable d'une délocalisation de notre production après les quotas, ajoutent Pierre-Marie et Annie. Les appellations auvergnates devraient faire partie de ces possibilités ».
Pour l'heure, l'exploitation qui se situe sur la zone de production de l'AOC bleu d'Auvergne et fourme d'Ambert, ne bénéficie que d'une part réduite de la cotisation volontaire obligatoire (CVO) mise en place depuis trois ans en Auvergne. En effet, un pourcentage s'applique sur l'attribution des 40 €/1 000 l de lait transformé en AOC en fonction de chacune des appellations. Pour le bleu et la fourme, les producteurs perçoivent respectivement 6 € et 0,525 €/1 000 l. L'EARL a reçu 1 900 € de CVO en 2010. Les AOC cantal et saint-nectaire bénéficient pour leur part d'une cotisation volontaire obligatoire plus élevée. « Le cahier des charges du bleu d'Auvergne est en cours de révision. Nous ne perdons pas l'espoir d'une meilleure valorisation du lait de montagne transformé en appellation d'origine contrôlée ! », ajoute Pierre- Marie.
MONIQUE ROQUE-MARMEYS
C'est Annie qui trait deux fois par jour. Cette fonction, qu'elle aime, lui a permis de trouver une véritable place lorsqu'elle s'est installée à son tour sur l'exploitation familiale de son mari.
La complémentation est distribuée manuellement. Les éleveurs font eux mêmes leur mélange de matières premières avec le sentiment « de savoir ce qu'ils distribuent ».
En 2002, la stabulation sur aire paillée a été réaménagée en une stabulation à logettes de 54 places. Un choix motivé par la volonté d'économiser les achats de paille car l'exploitation n'en produit pas. Les éleveurs estiment aussi avoir gagné en confort.
Avec trois sites d'exploitation dont une estive située à 1 300 m d'altitude, Annie et Pierre-Marie suivent l'herbe durant tout l'été. Les récoltes s'échelonnent de fait en fonction du niveau de la pousse, très différent selon l'altitude des parcelles de fauche.
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